Rencontre avec Angelina Tezanou : Aveugle, juriste et chanteuse
par on juillet 21, 2011 dans Rencontres

Elle a perdu la vue dés sa tendre enfance. Elle se retrouve l’âge de sept ans dans une école spécialisée pour non voyant en France. Diplômée d’Etudes approfondies en droit, elle abandonne son projet de thèse de doctorat pour devenir… musicienne professionnelle.

Angelina Tezanou, comment vous présentez-vous ?

Je suis née de façon tout à fait naturelle d’une femme qui s’appelle Jiofack Françoise et d’un père Jacob Tezanou. C’était à Bafou à l’ouest du Cameroun, il y a 34 ans. Je suis née avec un problème de cécité dans les gènes, puisqu’il s’agissait en faite d’une incompatibilité entre mon père et ma mère. Sur sept enfants, nous sommes trois aveugles. Je suis la troisième. J’ai grandit au village jusqu’à l’âge de sept ans. La seule particularité, c’est que ma grande sœurs allaient a l’école dés l’âge de 4 ans et que à 6 ans, j’étais encore à la maison, ça me dérangeait pas tellement parce que j’étais d’humeur assez rêveuse et assez solitaire. Cela me permettait d’inventer mes petits jeux. A partir de l’âge de 7 ans, on s’est aperçu que j’avais des problèmes sérieux et j’ai été envoyée en Europe.

Pendant ce temps est – ce que vous voyiez ? Que saviez vous de ce qui entourait ?

J’ai tout vu jusqu’à l’âge de 5 ans. Puis, j’ai perdu la vue progressivement puisque c’est une maladie dégénérescence.

Pendant mon jeune âge, je voyais mal et surtout le soir. J’avais des problèmes d’adaptation à la lumière et en période de forte lumière, je voyais mal. Puisqu’on savait que je devais finir par perdre la vue, la famille a décidé de me mettre dans une institution spécialisée pour que je puisse me préparer au jour ou je ne verrais plus. J’ai visualisé les gens que je voyais à l’époque, mes frères et mes sœurs par exemple. Je garde toujours ce réflexe, ce qui fait que souvent on ne s’aperçoit pas du fait que je ne vois pas.

Comment réagissaient les gens autour de vous par rapport à la situation ?

Cela dépend du côté où on se situe. Mes ainés peuvent mieux parler de mon environnement africain quand j’étais petite. En effet, quand on se retrouve dans une famille de sept enfants avec trois aveugles, on souffre de médisance. Quand j’étais au Cameroun, j’étais trop jeune pour me rendre compte de quoi que ce soit, mis à part le fait que j’aurais aimé aller à l’école avec mes copines et mes grandes sœurs. Quand je suis allée en Europe, j’étais entourée de personnes qui avaient les mêmes problèmes que moi. Il y avait des professeurs qui étaient habitués au problème, ce qui m’a permis de grandir tout à fait normalement. C’est après l’université qu’il m’a fallu revenir dans un milieu normal. J’ai alors réalisé que je vivais dans un «sac », un peu fermé et protégé. Là il fallu que je sois confrontée à la réalité, que j’aille à l’université avec tout le monde. J’ai réalisé à cette étape qu’il y avait un problème.

Il ya en Afrique des préjugés de sorcellerie qui pèsent sur les familles qui, comme la vôtre, ont eu plusieurs enfants infirmes. Etait-ce le cas chez vous ?

Oui. Ceux qui en ont le plus souffert, ce sont mes deux aînés. Déjà, je suis issue d’une famille polygamique. Ma mère était la dernière épouse de mon père et par conséquent, la plus contestée. En plus, elle a souffert du fait qu’elle avait trois enfants aveugles. Je crois même qu’au niveau des autres femmes et enfants de mon père, on a souvent pensé qu’il s’agissait de magie. Nous avons souvent été traités de tous les noms.

Est-ce que vous avez essayé de savoir comment vos frères supportaient leur propre infirmité ?

Pendant que j’étais au Cameroun, j’étais trop jeune mais je crois qu’on a été rejetés par nombre de nos proches parents et par la société. Il n’y avait rien d’adapté pour mon type de handicap. Face à cette situation, l’ainé de la famille, Paul Tezanou , s’est montré très combatif. Il n’a pas voulu baisser les bras quand bien même mon père privilégiait l’éducation des enfants voyants en disant que dans l’avenir, c’est eux qui s’occuperaient de nous. Nous, les trois aveugles, avons refusé d’être à la solde des autres. C’est ce qui nous a obligé à réussir. Nous avions un défi à relever puisque nous étions rejetés de part et d’autre. Je crois qu’on était condamné à la réussite, sinon pour nous, c’était la mendicité.

Est-ce qu’il a eu des menaces sur vos vie du fait de votre infirmité ?

Pas à mon niveau, mais au niveau de notre mère qui a beaucoup souffert. On l’a très mal traitée. Je trouvais cela ridicule.nos parents n’ont jamais pensé à mous éliminer. Je dois également mentionner la sœur aînée de ma mère qui l’a beaucoup réconfortée en lui disant que nous les aveugles nous serions les piliers de la famille dans l’avenir. Il y a aussi mon regretté père. Quand il nous a vus commencer à grandir, quand il a vu tout ce que réalisait Paul Tezanou au village, il a changé de langage. C’est peut être l’une des raisons pour lesquelles il m’a envoyée en France, tout à fait de bon cœur, parce qu’il avait compris qu’il y avait peut être un avenir pour nous.

Qu’est ce qui a motivé à votre avis votre réinsertion à vous et à vos frères dans la communauté ?

J’appellerais cela le destin plutôt que le hasard. Ma famille était extrêmement pauvre et nous n’avions aucun espoir. Il s’est avéré que dans la ville de Dschang, il y avait une pouponnière où travaillait une sœur du nom d’Agnès Guyot qui aimait sillonner les villages pour rencontrer les populations locales. Elle s’est intéressée à notre famille. Tout est parti de là. Au départ, elle venait nous rendre visite pour s’enquérir de notre état de santé nous administrer des soins. Dés qu’elle a su que notre problème était insoluble, elle s’est inquiétée quant à savoir ce que l’on pouvait faire pour notre avenir. Elle s’est mise à apprendre l’écriture braille par correspondance et a par la suite initié mes frères à cette écriture. J’ai pour ma part eu la chance d’être acceptée dans une école privée. Tout à fait gracieusement, des religieuses ont accepté d’assurer mon éducation dans une école qui coûtait 350 Fr français par jour et que ma famille ne pouvait absolument pas payer. C’est ainsi que je suis partie et que mes frères ont continué leur parcours ici sur place. Paul étant déjà le plus grand, la sœur religieuse s’est attelée à voir ce qui existait au Cameroun comme centre spécialisé. Il est allé à Buea pour s’imprégner de ce qui s’y faisait, surtout au niveau artisanal. Dés qu’il a eu ce lancement là, il a commencé à s’auto affirmer et décidé de créer une petite structure pour aider les autres. Dans cette structure, Siméon, le deuxième enfant de mes parents qui avait appris le braille, a été le premier exemple du centre. Il a été envoyé comme il le fait aujourd’hui avec ses 55 élèves, à l’école ordinaire, dans un système d’intégration. Aujourd’hui, Paul a un grand centre qui s’appelle le Centre d’Accueil Notre Dame de le Paix à Dschang. Siméon a été le premier camerounais aveugle à obtenir son brevet d’étude au Cameroun. Il a ensuite obtenu une bourse pour aller au Zaïre, ensuite en Tunisie et en France pour se former. Aujourd’hui il est diplômé de l’Ecole Normale supérieur et travaille comme enseignant.

Et votre parcours à vous… ?

Mon parcours est assez classique. J’étais dans une école spécialisée jusqu’en terminale. Ensuite, il ya eu l’université où j’ai fait le droit jusqu’au moment où je devais soutenir ma thèse. C’est là que je suis tombée dans la musique, la tête la première… (rires). Dans mon école, on nous offrait la possibilité d’apprendre la musique classique. J’ai toujours été passionnée par la musique. Au moment où je suis arrivée à l’université, il s’est posé un problème de moyens financiers pour financer mes études. Je n’étais plus prise en charge. Je n’avais pas de bourse. J’ai donc commencé à chanter dans les cabarets pour payer mes études en première année. Par la suite, en deuxième année, les bourses ont été débloquées mai j’ai continué à faire la musique par passion. En 1990, quand j’ai obtenu mon D.E.A, je ma suis dit qu’il était temps que je sorte mon album. J’ai essayé de faire la musique et les études à la fois. J’ai travaillé pendant deux ans à Paris comme juriste. Puisque je n’assumais pas parfaitement le travail et la musique, il a fallu que je fasse un choix. Aujourd’hui, je ne fais plus que la musique.

 

LE CHARME DU ZOUK

Est-ce que en 1990 vous aviez déjà une orientation précise pour votre carrière de musicienne ?

Non, pas exactement. Aujourd’hui, je fais du zouk, mais j’y suis tombée par hasard. C’est simplement parce que pendant une période où j’étais étudiante et que je faisais la musique pour gagner de l’argent, les seuls groupes qui m’on vraiment fait confiance étaient des groupes antillais. Ils louaient mes services d’abord en tant que clavier et même en tant que chanteuse. Comme tout groupe noir, quand ils se retrouvent entre eux, ils ne parlent que leur langue. Pour m’intégrer il fallait donc que j’apprenne cette langue. Je me suis mise à aimer la musique. J’avais grandi dans un cercle très classique. J’étais en internat avec des bonnes sœurs et la vie était au rythme des chants de messe, que j’aime bien d’ailleurs tout comme les chants grégoriens et la variété française. Je n’étais pas du tout initiée à la musique africaine. Le zouk pour moi était une musique exotique qui m’attirait énormément. Quand il s’agissait de composer des chansons, j’ai naturellement composé du zouk parce que je baignais dedans.

Est-ce que les antillais se sont montrés réceptifs ?

Très, très réceptifs… Ce sont les premiers à m’avoir fait confiance. Mon tout premier album, je l’ai fait avec un groupe filles antillaises appelées « Les Girls ». J’avais chanté toute la face B. cet album a beaucoup marché aux Antilles. J’animais beaucoup de soirées antillaises telles que les baptêmes et les mariages. Je dois dire aujourd’hui que les Antillais restent mon public de prédilection.

En dehors du créole et du français, quelle autre langue parlez –vous ?

Je me débrouille un peu en anglais, mais j’ai complètement perdu mon dialecte. Je me dis qu’il est quelque part dans ma mémoire. Je n’ai pas voulu chanter en français ou en anglais par ce que je me sens noire et que je veux chanter dans ma langue, «  BLACK ». En plus, le créole est une langue mélodieuse, agréable à chanter. C’est ma langue d’adoption. Je m’y retrouve avec l’histoire des Antilles et tout ce qu’elle véhicule. Je me sens aussi un peu expatriées. Le créole, c’est la langue qui me convient le plus. Je chante l’amour et le zouk love est la danse par excellence de l’amour.

Quelle est l’ambiance qui entoure vos efforts d’intégration et votre carrière de chanteuse ?

C’est vrai que je déplore un peu de ne pas être sollicitée dans les milieux africains jusqu’à de jour. Mais, je vais là où je peux gagner de l’argent. Je vais là où on m’appelle. C’est vrai qu’on m’appelle un peu partout dans les caraïbes. En Europe, je suis beaucoup plus sollicitée dans les boîtes antillaises que dans les boîtes africaines. Je le regrette un peu. C’est pour cela que dans mon dernier album « COTE CŒUR », j’ai quand même fait un effort pour produire un peu plus de musique africaine. Je me considère en tout cas que je ne suis qu’à mes balbutiements, j’ai encore beaucoup de chose à prouver, parce que je ne fais pas que du zouk. J’ai grandi dans un cadre privilégié qui m’a permis de flirter avec différents genres musicaux. J’aimerais bien faire profiter mon public de tous mes talents, de tout ce que j’ai en moi. C’est vrai qu’on m’a aimée dans le zouk, ça devient un peu une solution de facilité de composer et de chanter le zouk. J’ai d’autres cordes a mon arc et j’ai des projet… J’aimerais bien découvrir et travailler des rythmes africains. Au plan international, je suis très attirée par certains rythmes comme le Rythme and Blues et le Reggae. Je n’aimerais pas qu’on me cloisonne dans un genre particulier. Mon public aussi attend beaucoup de chose de moi, du travail musicalement et vocalement. Je voudrais tenir mon public en haleine pour créer tous les jours quelque chose de nouveau.

D’aucuns ont interprété votre passion pour le zouk comme la conséquence de votre déracinent. Maintenant on vous voit revenir vers l’Afrique. Comment s’opère ce retour ?

Je me suis rendue compte du fait que je n’étais pas antillaise et que je n’avais rien à voir avec leur histoire. En plus, ils ne sont ni blancs ni noirs. Ils ont leur culture. En allant là-bas, je me suis aperçue que ça n’avait rien à voir avec mon Afrique profonde.

Quand je reviens au Cameroun et que je vais chez moi au village, il y a des odeurs que je sens, des sonorités et des bruits que j’écoute et qui n’ont rien à voir avec les Antilles, ça réveille un échos et je me sens que je suis chez moi et que le Cameroun est ma terre. La première fois que je suis revenue, c’était très difficile, puisque je ne parlais plus ma langue et que je ne reconnaissais plus personne en dehors de deux ou quatre de mes 23 frères et sœurs. Régulièrement, je suis revenue, soit en vacances, soit en tant que musicienne. Je me suis plus intéressée à mon Cameroun profond et j’ai écouté d’avantage ce qui pouvait ressortir de ma personnalité. Je me rend compte que je suis plus camerounaise qu’autre chose.

Cameroun Tribune, par David NDACHI TAGNE
Culturama mercredi 24 février 1999

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